« La lumière est l’âme du vitrail » - Auguste Labouret (1871-1964)
Parmi les nombreuses oeuvres d’art étonnantes qu’on peut admirer dans la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption de Moncton, ce sont sans doute les vitraux de la nef et du transept qui surprennent le plus. Tous ceux et celles qui ont fréquenté la cathédrale depuis l’époque de la Seconde Guerre mondiale auront pu voir ces oeuvres resplendissantes et modernes réalisées par l’agencement et le cloisonnement d’éclats de verre brillants et profonds. En revanche, ce qui aura échappé à la plupart de ces visiteurs et fidèles, c’est la renommée et la carrière fascinante de l’artiste qui a créé ces vitraux. Un retour sur les réalisations d’Auguste Labouret, maître-verrier français, est comme un cours sur l’évolution des tendances dans le design et les arts décoratifs de la première moitié du XXe siècle. Comment cet artiste s’est fortuitement retrouvé à Moncton est indissociable de l’histoire des événements qui ont bouleversé le monde à cette époque.
Originaire du département de l’Aisne, dans le nord de la France, Auguste Labouret fait ses études aux Beaux-Arts de Paris. Dès 1902, il ouvre son atelier de maître-verrier à Paris, précisément à l’époque où la métropole française s’affirme comme capitale mondiale des arts. Des artistes du monde entier y sont attirés par la beauté romantique de la ville et l’intense activité artistique qui y règne. Le design est en vogue et Labouret reste à l’affût des goûts de l’époque. Il produit des vitraux et des mosaïques pour plusieurs bâtiments devenus emblématiques des tendances du début du XXe siècle.
Les vitraux qu’il produit en 1909 pour la Villa Demoiselle à Reims (France) représentent un intéressant design de transition entre l’Art nouveau - art décoratif connu entre autres pour ses courbes stylisées - et l’Art déco - art décoratif moderne connu pour une géométrie simplifiée et hautement stylisée.
Dans les années 1920, l’Art déco est de plus en plus à la mode dans les centres urbains. En 1924, Labouret produit les mosaïques de la Maison Prunier à Paris. Ce restaurant, toujours ouvert en 2020, a été le premier en France à servir son propre caviar. L’Art déco, il faut le dire, était initialement une tendance décorative moderne de luxe.
Justement, dans les années 1930, Labouret contribue de façon importante au décor de l’une des constructions qui, encore aujourd’hui, demeure un des symboles les plus emblématiques de l’Art déco luxueux de cette époque: le SS Normandie. Ce navire français est à l’époque le plus gros, le plus puissant et le plus rapide au monde. Il traverse l’Atlantique en à peine 4 jours! Mais plus que tout, le SS Normandie est un symbole du raffinement des arts décoratifs français de cette période. C’est Auguste Labouret qui conceptualise le décor éblouissant de la somptueuse salle de banquet du navire. Souvent comparée à la Galerie de glaces du palais de Versailles - mais en plus moderne et en plus long - elle détient alors le record de la plus grande pièce intérieure à jamais partir en mer. Cependant, il n’y a dans cette pièce aucune fenêtre qui donne sur la mer. Labouret élabore donc un décor mural fait de dalles de verre ciselées au marteau, de sorte que la lumière artificielle de la salle y soit captée et réfléchie. Les murs resplendissent donc d’une lumière abondante sans pourtant être eux-mêmes luminescents. Le SS Normandie cesse son activité commerciale pendant la seconde guerre mondiale et est ravagé par un incendie accidentel à New York en 1942.
L’oeuvre de Labouret porte pendant plusieurs années les marques du design d’Art déco, y compris dans les oeuvres qu’il a créées pour la cathédrale de Moncton en 1942. Dans les verrières historiées du transept, nous retrouvons donc plusieurs exemples de ce type de design avec une géométrie épurée et moderne. Les rayons de lumière et les auréoles autour de la tête de Marie (à droite) rappellent les détails stylistiques du buffet de la gare de Saint-Quentin en France (à gauche), réalisés par Labouret 15 ans plus tôt.
C’est un jeu de circonstances qui a permis à Moncton de bénéficier de ces 56 magnifiques vitraux d’Auguste Labouret. Venu compléter des mosaïques dans la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré à la fin des années 1930, Labouret est retenu au Canada pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est précisément à ce moment que Monseigneur Arthur Melanson (le premier archevêque acadien) et Louis-Napoléon Audet (l’architecte de la cathédrale) veulent installer des verrières historiées dans le transept de la toute nouvelle cathédrale de Moncton. On devait y représenter, en 36 panneaux, les scènes marquantes de l’histoire de l’Acadie et les grands bâtisseurs de sa renaissance. Ces oeuvres sont installés par Labouret en 1941-1942. On voit ci-dessous (à gauche) le vitrail représentant la convention où on a adopté le tricolore étoilé comme drapeau de l’Acadie.
Avant de terminer ce projet, Labouret accepte un deuxième contrat à Moncton pour réaliser dix paires de vitraux dans la nef de la cathédrale. Ces oeuvres, installées en 1955, ont la particularité extraordinaire de représenter uniquement des personnages bibliques féminins. Marie et Sara sont représentées dans l’image ci-dessus (à droite). Ces vitraux se démarquent aussi par le procédé inhabituel de leur fabrication, très différent de celui utilisé pour les verrières historiées. Pour ce second contrat, Labouret utilise une technique qu’il avait lui-même développée et brevetée dans les années 1930 : le vitrail en dalle de verre cloisonné en ciment. Comme le laisse entendre le nom du procédé, il s’agit de construire un mur où des pièces de verre coloré épaisses sont soutenues par du ciment. Quand on les voit, on est tout de suite frappé par le contraste entre la luminosité des surfaces colorées et l’opacité du ciment. L’indépendance des pièces de verre confère à ces oeuvres un air distinctement moderne qui rappelle le cubisme. Quant à la profondeur du verre, elle donne à ces vitraux un grand pouvoir expressif qui ne peut pas être reproduit sur des images. Il faut prendre le temps de les apprécier en personne. C’est Labouret qui a dit « la lumière est l’âme du vitrail ».
Auguste Labouret vantait aussi la résistance et la durabilité de ses vitraux : « Après quinze ans d’études, d’essais, d’améliorations constantes, je puis vous affirmer que ma nouvelle technique est durable pour mille ans, contre toute contraction par le froid ou de la dilatation par la chaleur. » Cette affirmation a en quelque sorte pu être vérifiée en 1956 lorsqu’un incendie a ravagé l’église Saint Éloi de Roscanvel, détruisant complètement le bâtiment et la plupart des oeuvres d’art qui s’y trouvaient. Quand l’église a été restaurée par la suite, seuls les vitraux de Labouret restaient du bâtiment original. Ils avaient résisté aux flammes !
Jusqu’à sa retraite en 1962 Labouret continuera à développer ce procédé et à l’inclure dans plusieurs projets de décoration d’édifices religieux grands et petits, surtout dans le nord de la France. Son approche à la composition évolue beaucoup à cette époque et il incorpore de plus en plus d’éléments d’art abstrait, approche particulièrement épurée dans les vitraux de l’église de Léotoing. Ces oeuvres, parmi ses dernières, rappellent même les compositions en losange de Mondrian, où l’accent est mis sur les lignes verticales et horizontales et où la palette de couleurs se limite au blanc et aux couleurs primaires.
Si on considère l’oeuvre d’Auguste Labouret dans son ensemble, on peut dire que son séjour à Moncton correspond à cette période de mi-carrière où, après être resté au courant des grandes tendances du design et de l’art du vitrail pendant 30 ans, il décide d’innover lui-même dans son métier. Le bonheur de la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption est de se retrouver aujourd’hui avec ces trésors, qui sont un témoignage éclatant et monumental de l’art de la première moitié du XXe siècle.